*** Ils sortent des scoops, commentent l'actualité, tancent les grands de ce monde. Certains les appellent des "journalistes citoyens". D'autres les affublent du surnom moins flatteur de "journalistes en pyjama". Mais personne ne peut les ignorer. Les blogueurs et autres rédacteurs du Web se sont taillé une place au soleil dans le système de l'information. Les entreprises ont vite compris qu'elles ne pouvaient les ignorer.
"Nous sommes obligés d'en tenir compte, ne serait-ce que pour éviter un buzz négatif sur le Web, souligne Anne Shapiro-Niel, présidente de l'Association des professionnels des relations presse et de la communication. La difficulté, c'est que les règles ne sont pas les mêmes qu'avec les journalistes. Par exemple, nous ne sommes pas assurés d'obtenir un droit de réponse en cas d'erreur." "Les avis sont très partagés et les pratiques très différentes, avoue Sophie Cornet, de l'agence C'est dit, c'est écrit. Doit-on envoyer des produits, des livres aux blogueurs, les inviter aux voyages de presse, en sachant qu'il faudra tout payer, car ils ne sont pas défrayés ?"
Dans certains secteurs, les blogueurs jouent un rôle de prescripteurs décisifs. C'est le cas bien sûr pour les jeux vidéo, l'informatique et le high-tech, mais aussi l'alimentation, la cuisine, la décoration, la médecine, la musique, les loisirs au sens large. Les entreprises ont recours à des agences spécialisées de veille sur les blogs. "Les blogueurs compliquent la tâche des services de presse, explique Ludovic Bajar, directeur associé de Human to Human, l'une de ces agences. Leur pratique est fondamentalement différente de celle des journalistes. Ils ne respectent pas les trois piliers du métier que sont la distanciation, l'objectivation et le recoupement des sources. Ils sont dans une subjectivité totale par rapport à leur sujet. Ils vivent leur activité comme une passion. Ils se racontent. Lorsqu'un blogueur arrive à une conférence de presse, la première chose qu'il fait est de se prendre en photo ou de se faire photographier..."
Les institutions ont appris à composer avec ces nouveaux commentateurs de la vie publique. Pour la rencontre entre Barack Obama et Nicolas Sarkozy, en juillet 2008, l'Elysée avait accrédité une dizaine de blogueurs. "Le critère de base reste la carte de presse, précise Franck Louvrier, responsable de la communication à la présidence de la République. Mais je suis pour ouvrir davantage nos portes aux blogueurs les plus influents. Ceux qui ont une légitimité dans leur métier et dont les blogs sont très fréquentés." L'Elysée a mis en place une cellule de veille des blogs, dirigée par Nicolas Princen. A Matignon, le service de presse s'en tient au critère de la carte professionnelle. "Pour des raisons de sécurité", souligne Myriam Lévy, sa responsable.
De son côté, le Parti socialiste a accrédité des blogueurs lors du congrès de Reims. "L'inflation des sites Internet et des blogs nous pose un problème, admet Alain Clergerie, coordinateur du service de presse du PS. Nous avons pour habitude de demander la carte de presse, ou sinon de vérifier que le site ou le blog sont reconnus et ont une bonne réputation." La porosité entre le métier de journaliste et celui de blogueur bouscule les habitudes. "Nous sommes dans une situation comparable à l'époque des radios libres, dit Benoît Raphaël, rédacteur en chef du site LePost. Les blogs permettent de faire émerger des nouveaux talents qui pourront faire d'excellents journalistes par la suite."
Eric Marquis, vice-président de la Commission de la carte d'identité des journalistes, est moins indulgent : "A force de dire que tout le monde peut être journaliste, on dévalorise ce métier et on occulte le fait que la bonne information a un coût. Après tout, on ne parle pas de "chirurgien citoyen". Le terme de "citoyen" ne sert qu'à habiller une dévalorisation de l'information et une précarisation de la profession. Nous sommes déjà descendus très bas dans les critères d'attribution de la carte de presse, jusqu'à la moitié d'un smic pour les revenus tirés du journalisme." Pour ce syndicaliste SNJ, "les termes du débat sont exactement les mêmes que dans les années 1930, lorsque Georges Bourdon a posé les bases du statut de journaliste. A l'époque, il tenait un discours très dur, en affirmant qu'il fallait distinguer les professionnels des amateurs".
Pourtant, la plupart des blogueurs ne se considèrent pas comme journalistes. Leur pratique inclut même souvent une critique implicite de la presse. "L'espace public numérique joue un rôle de complément, il est donc assez logique qu'il soit en réaction et en correction, explique Nicolas Vanbremeersh, alias Versac, qui a tenu un blog politique de 2003 à 2008. Moi-même, je n'ai pas de rapport professionnel à l'information. J'ai ma propre hiérarchisation. Le blog reste un plaisir et une activité annexe dans ma vie."
Si l'on s'en tient à un critère purement statistique, l'avantage est du côté des blogs. Selon la Commission de la carte de presse, il y aurait 37 000 cartes de presse et, selon Wikio, 60 000 à 70 000 blogs.
Xavier Ternisien
Le Monde
07.03.09.
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