Monday, January 12, 2009

***Comment Paris se prépare à la crue du siècle***


***Au siège de la Préfecture de police, sur l'île de la Cité, ils analysent jour après jour les bulletins météo et comparent le niveau de la Seine sur l'échelle gravée dans la pile sud du pont d'Austerlitz :

Dans la plus grande discrétion, le secrétariat général de la zone de défense de Paris anticipe les grandes catastrophes menaçant la capitale et l'Ile-de-France. À commencer par une inondation aussi dévastatrice que celle de 1910.

Sans jouer les Cassandre, une cinquantaine de spécialistes de haute volée peaufinent du matin au soir des plans confidentiels visant à sauver la capitale et ses environs d'une inondation majeure. L'enjeu est vital, car l'Ile-de-France abrite 12 millions d'habitants et crée un quart de la richesse nationale. La devise de Paris «Fluctuat nec mergitur» en tête, ces policiers, pompiers, gendarmes et douaniers d'un genre particulier sont affectés au discret secrétariat général de la zone de défense de Paris, confié depuis peu à l'ex-patronne de la PJ, le préfet Martine Monteil. Ces experts ont ouvert leurs dossiers en exclusivité au Figaro.

Au siège de la Préfecture de police, sur l'île de la Cité, ils analysent jour après jour les bulletins météo et comparent le niveau de la Seine sur l'échelle gravée dans la pile sud du pont d'Austerlitz. «La seule mesure qui vaille», note le colonel Gérard Charguellon, qui reléguerait volontiers le «fantaisiste zouave du pont de l'Alma» au musée militaire des Invalides. Pour l'heure, le fleuve sommeille à 1 mètre de hauteur. Mais quand il se réveillera jusqu'à jaillir de son lit, pas question de revivre l'impuissance d'un Mac Mahon bégayant «Que d'eau, que d'eau» face aux flots.

«Une certitude dont seule la date est inconnue»
Fidèles au nouveau plan d'Organisation de réponse de sécurité civile (Orsec), ces experts en gestion des risques sont en lien permanent avec 300 interlocuteurs de secteurs névralgiques comme les transports, les télécommunications ou l'énergie. «En moyenne, une inondation majeure a lieu trois fois par siècle, rappelle le colonel Charguellon. Loin d'être un phénomène exceptionnel, c'est même une certitude dont seule la date est inconnue…» Classifiés «confidentiels», les scénarios échafaudés par la zone de défense ne relèvent pas de la science-fiction mais plutôt d'une froide anticipation calibrée au millimètre en vue de secourir des milliers de personnes en détresse.

La mécanique est déjà connue : comme en 1910, à la veille de la crue centennale, et en 1955, les anticyclones se figeront pendant cinq jours et laisseront passer sur la France des nuages menaçants. Lorsque la pluie torrentielle s'abattra simultanément sur la chaîne du Morvan, le plateau de Langres et le haut bassin de la Marne, l'Yonne la «terrible», la Marne, l'Aube puis la Seine gonfleront. Cinq à huit jours plus tard, Paris sera en passe d'être inondée.

À 3,5 mètres (alerte jaune) au-dessus du niveau moyen du fleuve selon l'échelle du pont d'Austerlitz, les quais bas sont déjà submergés et les mendiants qui s'y trouvaient par dizaines ont été priés de trouver refuge ailleurs. En liaison avec la Mairie de Paris, les voies sur berge sont fermées, à commencer par le tronçon entre Bercy et Austerlitz. À 5,50 mètres, la zone de défense sonne le tocsin et le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, commande les opérations depuis ses bureaux de l'île de la Cité tandis qu'une cellule de crise est activée dans un bunker souterrain.

À 6 mètres (alerte rouge), la SNCF noie de façon préventive le RER C entre quai de Javel et gare d'Austerlitz pour éviter son écrasement sous la pression des eaux de la Seine. La RATP, de son côté, lance son plan de fermeture des 477 entrées d'eau répertoriées sur son réseau. En cas d'inondation, le préjudice pour la Régie a été calculé à 5 milliards d'euros pour un retour complet à la normale après plus de quatre années de longs et pénibles efforts ! Il a aussi été prévu de mobiliser 800 agents pour colmater les brèches pendant quatre jours, à l'aide d'une montagne de parpaings et des centaines de bétonneuses déjà entreposées à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne).

À 8,60 mètres, le pic de 1910 est atteint : quelque 360 000 Parisiens sont privés de chauffage en raison de l'arrêt des usines de production de vapeur situées sur les bords de Seine et 10 000 militaires, engagés dans le plan «Neptune», sont déployés avec leurs hélicoptères, ponts flottants et canots pneumatiques pour éviter les pillages des zones évacuées.

Plus de cinquante mille personnes évacuées
Si, comme l'estime la zone de défense après avoir analysé les crues du Danube à Prague en 2006 ou du Tibre à Rome plus récemment, le débit de la Seine grimpait encore de 15 %, ses eaux gagneraient dans un premier temps le ministère des Finances et le Palais omnisport de Bercy (XIIe), la gare d'Austerlitz (XIIIe), la Maison de la radio et l'hôpital Georges-Pompidou (XVe), une partie du XVIe arrondissement, 21 ambassades - dont celles des États-Unis et du Brésil - ainsi que les Musées d'Orsay, du quai Branly et du Louvre, dont le scanner des momies, aujourd'hui emmuré en sous-sol, serait englouti. À l'Assemblée nationale, où les députés allaient siéger en barque en 1910, le manuscrit des Confessions de Rousseau a d'ores et déjà été monté au deuxième étage par précaution. Tout comme le système de télécommunications et d'informatique de l'Élysée.

Au plus fort de la tourmente, plus de 50 000 personnes pourraient être évacuées dans Paris et 70 000 lits de camp seraient mis à leur disposition dans des gymnases de la ville tandis que huit ministères, dont celui de l'Intérieur, déménageraient partiellement. Neuf trains feraient la navette quotidienne depuis les Vosges, les Alpes et le Massif central afin d'approvisionner la population en eau potable, à raison de deux litres par jour et par personne. Une semaine serait nécessaire pour que la décrue s'opère, laissant derrière elle une odeur pestilentielle et tenace. Plusieurs mois passeraient avant un retour à la normale. Mais jamais le cœur de Paris ne devrait cesser de battre.

Christophe Cornevin
Le Figaro
12/01/2009

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