***Jean Sarkozy voulait devenir patron des Hauts-de-Seine en 2011. Après le fiasco de sa candidature à la présidence de l'Etablissement public pour l'aménagement de la Défense (EPAD), en octobre, il hésite, inquiet du risque d'un nouveau procès en népotisme qui aurait pu gêner son père, un an avant l'élection présidentielle. Mais son retrait de l'avant-scène politique a tout du repli tactique. Le jeune conseiller du canton sud de Neuilly veut incarner le leadership de la droite dans l'ancien fief paternel.
Le 15 décembre, Jean Sarkozy a étrenné un rendez-vous avec les élus : les "brainstormings du 92." Chaque mois, il réunira une partie de ses troupes autour d'un expert. La première réunion s'est tenue sur l'emploi autour du politologue Dominique Reynié. "Nous allons préparer ensemble le projet qui nous permettra de construire les Hauts-de-Seine de demain", écrit-il dans le dossier d'invitation adressé aux élus. La formule a été conçue avec le communicant Christophe Lambert.
Lundi 14 décembre, c'est une brochette de grands élus des Hauts- de-Seine qu'il réunissait au restaurant Le Petit Poucet sur l'île de la Jatte, au coeur de la circonscription UMP Neuilly-Puteaux, dont il est le délégué. En présence de Charles Pasqua, Valérie Pécresse et Rama Yade. Mais sans Patrick Devedjian, le patron du conseil général.
Entre l'ami et le fils du président, la guéguerre dure depuis près de deux ans. Un conflit entre deux ambitions, deux générations avec feinte complicité en public mais vraie rivalité en coulisse. Tous les élus UMP ont en mémoire leurs passes d'armes à fleurets à peine mouchetés et leurs franches engueulades.
Tous ont été témoins de la colère de M. Devedjian, le 16 juin 2008. Ce jour-là, Jean Sarkozy vient d'être porté par un vote unanime à la tête du groupe UMP. "Mon petit Jean, puisque tu veux devenir président, il va falloir que tu apprennes à parler aux journalistes !", lance M. Devedjian, l'index pointé sur le jeune élu qui vient d'être adoubé par ses pairs. Le patron des Hauts-de-Seine lui reproche d'avoir ourdi son élection dans son dos avec le soutien de ses ennemis jurés, les Balkany et Charles Pasqua. Il veut le convaincre de venir s'expliquer avec lui devant la presse. Jean refuse. "Petit con ! C'est une faute politique que tu viens de commettre !", s'étrangle Patrick Devedjian, en découvrant le communiqué triomphateur que le fils du président distribue aux journalistes.
Jean Sarkozy se garde de faire le procès de Patrick Devedjian, devant les journalistes. Au contraire. "Une engueulade ne dit pas le fond d'une relation, confiait-il, en novembre, dans un café près de la mairie de Neuilly. Mon premier sentiment en arrivant au conseil général a été la fierté d'avoir à travailler avec Patrick Devedjian, poursuivait-il. Je l'ai d'abord considéré comme un ami de mon père et de ma mère avant de le connaître comme personnalité politique. Je me souviens de notre premier échange, Patrick m'avait longuement parlé de sa passion pour un roman de Giono, "Un roi sans divertissement", un chef-d'oeuvre."
Le conseiller général de Neuilly qui cherche à reconstruire son image d'élu de terrain après l'échec de sa prise de l'EPAD n'a guère intérêt à s'aliéner le patron du département. Mais il sait que, dans les rangs de la droite UMP, les critiques pleuvent sur la gestion Devedjian.
Sous couvert d'anonymat, nombre de conseillers généraux UMP reprochent au président du conseil général son mode de gestion "solitaire", "autoritaire" parfois, mais surtout "austère". Eux qui s'étaient habitués à ce que l'argent coule à flots du temps des années Pasqua acceptent mal de se voir soudain refuser des subventions départementales. Ils admettent difficilement les explications parfois cassantes du nouveau président.
"Devedjian est convaincu qu'une bonne dépense n'est pas forcément une grosse dépense, explique Philippe Juvin, conseiller général (UMP) de La Garenne-Colombes. C'est mal vécu !" "Devedjian est un avocat, habitué à travailler seul, il est beaucoup plus attaquant que conciliateur ", remarque Jean-Pierre Fourcade, sénateur des Hauts-de-Seine, marié à Odile Fourcade, conseillère générale (UMP) de Boulogne-Billancourt.
Ces derniers mois, une bonne part des élus ont poussé la porte du bureau du fils du président pour se plaindre de l'attitude intransigeante de Patrick Devedjian. Ils ont trouvé une oreille attentive. "Si Devedjian faisait mieux le boulot, Jean n'aurait pas autant d'espace. Il est devenu son meilleur agent commercial", constate l'un d'eux.
En retour, Jean Sarkozy s'est assuré du soutien sans faille des élus. "Jean dorlote ses troupes. Il n'oublie jamais un anniversaire", s'exclame Thierry Solère, conseiller (UMP) de Boulogne-Billancourt. Capable de les emmener voir Barack Obama sur les plages de Normandie comme de les entraîner au Palais de Chaillot visiter l'exposition des architectes sur le Grand Paris, il les associe à ses décisions, "non sans une petite part de cinéma", reconnaît l'un d'eux.
"Ça va vous paraître galvaudé, mais j'aime les gens, expliquait, en novembre, Jean Sarkozy. En politique, il y a ceux qui considèrent que pour être un chef, il faut inspirer la crainte. Je pense au contraire que pour être compris, il faut se mettre à la place des élus, intégrer leur raisonnement et s'efforcer, ce n'est pas toujours simple, de regarder les choses avec leurs yeux."
Une pierre gratuite dans le jardin du patron du département ? Les proches de Patrick Devedjian prennent sa défense. "Devedjian joue les méchants parfois, mais, au fond, c'est un tendre. N'oubliez pas que son héros, c'est Cyrano, un homme qui se damnerait pour une formule et qui hait la courtisanerie."
Malgré ses gages de totale loyauté envers le chef de l'Etat et ses efforts pour relancer le quartier de la Défense, M. Devedjian a pris la mesure, au printemps, de sa perte d'autorité face aux Sarkozy, père et fils. Pour remplacer Philippe Juvin, élu député européen, le chef de l'Etat a souhaité qu'Isabelle Caullery soit candidate, au printemps 2010 dans le canton de La Garenne-Colombes. Conseillère municipale à Neuilly, quand Nicolas Sarkozy en était le maire, elle est directrice de la publication du journal, "Neuilly 92" que Jean Sarkozy fait paraître dans son canton. C'est aussi une fidèle de Charles Pasqua.
Pour toutes ses raisons, Patrick Devedjian a tenté de faire barrage à la candidature de Mme Caullery. En vain. Lundi 6 juillet, au déjeuner du bureau départemental de l'UMP, ils sont tous là, Charles Pasqua, Patrick Balkany, Jean Sarkozy, Patrick Devedjian. Quand le nom d'Isabelle Caullery arrive sur la table, le patron des Hauts-de-Seine déclare qu'il en a "parlé au président", que sa candidature n'est pas "encore certaine". "J'ai vu le président dimanche, il m'a dit que ce serait Isabelle Caullery", a répliqué froidement Jean Sarkozy. Quand vient le moment du vote, tous les convives posent leurs couverts. "Lâche au moins ton couteau pour lever la main !", lance M. Balkany à M. Devedjian.
M. Devedjian a essuyé cet été un nouveau revers : l'Elysée refuse le décret qui, en allongeant la limite d'âge fixée à 65 ans, lui aurait permis de rester président de l'EPAD, Amer, meurtri même, M. Devedjian considère pourtant que l'assaut raté de Jean Sarkozy sur la présidence de la Défense lui redonne des chances de rester en place en 2011. "Je n'ai pas déposé mon bilan. Je me battrai pour conserver mon fauteuil," confie-t-il. Si certains doutent de ses capacités de résistance, il rappelle, bravache, qu'il est "issu d'un peuple de survivants", lui, le fils d'ingénieur arménien. Si leur duel devait avoir lieu dans le fief présidentiel, en 2011, il serait meurtrier. Nicolas Sarkozy le sait et préférerait l'éviter.
Mais que faire de Patrick Devedjian ? Le nommer au Conseil constitutionnel en février 2010 ? La porte de sortie serait honorable pour un avocat qui rêvait de devenir garde des sceaux. Mais risquée. Ne dira-t-on pas que le chef de l'Etat a ouvert la voie à son fils ? A tout prendre, le jeune conseiller général du canton sud de Neuilly préférerait un affrontement à la loyale.
Béatrice Jérôme
LE MONDE
26.12.09
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