Monday, June 22, 2009

***L'Etat a-t-il vraiment besoin de l'épargne des Français?***

***Nicolas Sarkozy a annoncé la création d'un emprunt national qui pourrait être lancé auprès des particuliers. Pour l'Etat, les avantages de ce type d'opération pour l'Etat sont plus politiques que financiers. Pour les Français les plus aisés, en revanche, c'est tout bénéf.

Le président Nicolas Sarkozy a annoncé lundi 22 juin la création d'un emprunt national "pour financer les priorités du gouvernement". "Le montant et les modalités" de cet emprunt, qui sera lancé "soit auprès des Français soit auprès des marchés financiers", seront décidés à l'automne après trois mois de débats, a ajouté le chef de l'Etat devant le Congrès.

Après EDF, sera-ce au tour de l'Etat de mobiliser l'épargne des Français pour financer les "priorités stratégiques pour l'avenir", selon les propos de Nicolas Sarkozy ? Quels sont les avantages et les inconvénients de ce type d'emprunt national ?
Aujourd'hui, l'Etat finance sa dette publique en empruntant auprès des marchés financiers, via l'émission par l'AFT (Agence France Trésor) de bons du Trésor ou OAT (obligations assimilables du Trésor) à taux fixes et variables et à une maturité plus ou moins élevée (de 2 à 30 ans). Le marché des OAT est d'ailleurs également accessible aux particuliers. Pour 2009, le programme d'émissions de l'AFT s'élève à plus de 150 milliards d'euros.

"Depuis le début de l'année, l'AFT n'a aucun problème pour placer ses titres sur les marchés financiers, remarque Cyril Regnat, économiste chez Natixis, les obligations souveraines de l'Etat français bénéficiant en effet de la notre maximale, le fameux "triple A". Faire appel aujourd'hui à l'épargne des particuliers n'a donc pas énormément d'intérêt pour l'Etat". "Un emprunt national auprès des particulier n'a de sens économique que si les marchés financiers ne répondent plus présents pour acheter les obligations souveraines d'un Etat", renchérit Xavier Timbeau, économiste à l'OFCE.
L'opération risque d'être plus coûteuse que d'emprunter sur les marchés financiers
En outre, lancer un emprunt auprès des particuliers est un montage financier qui peut se révéler plus coûteux pour l'Etat que la voie classique de financement sur les marchés. L'Etat va bien sûr devoir faire appel aux banques de détail pour mettre en place l'opération auprès de leurs clients. Au passage, l'Etat va donc devoir leur verser des commissions.

Par ailleurs, il faudra que le taux de rendement soit suffisamment élevé - donc attractif - pour que la collecte n'échoue pas - auquel cas ce serait une catastrophe politique.

L'Etat devra également mettre en place une vaste campagne de communication auprès du grand public, sur une longue durée. Enfin, comme cela a été le cas dans les précédents emprunts nationaux, ce type d'opération s'accompagne généralement de réductions fiscales, autant de manque à gagner pour les finances publiques.

En réalité, l'avantage d'un grand emprunt est plus politique que financier. Il permet de souder les Français les plus aisés derrière le gouvernement. "Un emprunt national auprès des particuliers s'apparente à un référendum des possédants, indique Pierre-Cyril Hautcoeur, professeur associé à l'Ecole d'économie de Paris : les gens votent pour le gouvernement avec leur portefeuille d'épargne."

Pour les particuliers, en revanche, il n'y a que des avantages : en cette période d'aversion pour les placements financiers à risques, l'Etat offre aux épargnants un placement sûr et avec un meilleur rendement que les placements traditionnels comme le Livret A ou le LDD.

Les précédents emprunts d'Etat auprès des particuliers:
L'emprunt Balladur, 1993. Emis pour financer l'accès au travail des jeunes et la relance des travaux publics et du bâtiment. Le dernier grand emprunt national lancé auprès des particuliers avait permis de collecter 110 milliards de francs (16,5 milliards d'euros) de souscription, contre 40 milliards escomptés. Amortissable sur quatre ans, il était proposait un taux d'intérêt de 6%. L'opération s'est révélée lourde pour les finances publiques : au-delà de son remboursement (90 milliards de francs), l'emprunt avait au final coûté en sus environ 4,3 milliards de francs à l'Etat.
L'emprunt Mauroy 10%, 1983. Créée pour marquer le tournant de la rigueur, cette contribution forcée toucha les contribuables payant plus de 5 000 francs d'impôt. Ceux-ci durent verser 10% du montant de leur impôt (IRPP et ISF). Soit un total de 14 milliards, intégralement remboursés en 1985.
L'emprunt Barre 8,8%, 1977. D'un montant de 8 milliards sur quinze ans, bénéficiant d'un abattement fiscal de 1 000 francs par an sur les intérêts, il n'a guère profité de sa garantie fondée sur l'écu.
L'emprunt Giscard 7%, 1973. Indexé à partir de 1978 sur le cours du lingot d'or. D'un montant de 6,5 milliards sur quinze ans, il a coûté à l'Etat, en 1988, 92 milliards (capital et intérêts), soit, en francs constants, plus de quatre fois et demie sa valeur d'origine.
L'emprunt Pinay 3,5%, 1952, renégocié à 4,5% en 1973. Indexé sur le napoléon, exonéré d'impôt. Remboursé par anticipation en 1988, son cours a été multiplié par 15.
L'emprunt 3% Caisse nationale de l'énergie. Emis en 1946 pour indemniser les actionnaires des compagnies de gaz et d'électricité, indexé à 100% sur le chiffre d'affaires d'EDF-GDF, sa valeur de remboursement a été multipliée par 40. Amortissable jusqu'en 1996.

Emilie Lévêque
L'Express
22/06/2009

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