Monday, March 17, 2008

***Les bobos à l’assaut des banlieues “popu”***

***La ceinture rouge de Paris pensait couler encore d’heureux jours communistes. C’était compter sans les bobos qui noyautent ces bastions. La preuve par Montreuil.

Le tableau est charmant : un couple aux airs bohèmes, arborant des vêtements coûteux, se promène avec une poussette transportant un bébé tout aussi élégamment vêtu. C’est lui qui pousse pendant qu’elle papote tranquillement au téléphone et conclut une affaire pour sa boîte de graphisme. Ils ont l’air bien inoffensifs, mais l’essor de cette catégorie sociale dite des bobos (bourgeois en raison de leur niveau de revenus, bohèmes par leur style de vie) a provoqué, à la fin des années 1990, un séisme politique qui a fini par faire perdre la Mairie de Paris à la droite.
Aujourd’hui, les bobos s’installent en banlieue*, où ils achètent lofts, ateliers désaffectés, combles et entrepôts de la “ceinture rouge” de la capitale. Et leur arrivée entraîne un nouveau séisme, mais cette fois-ci à gauche. Montreuil, ville ouvrière adossée au flanc est de Paris et connue pour accueillir l’imposant siège social de la CGT, est à l’épicentre du tremblement de terre bobo. Graphistes, plasticiens, journalistes de renom, génies de l’informatique et ingénieurs commerciaux fortunés en ont fait leur lieu de résidence. L’arrivée dans la banlieue rouge de ces jeunes actifs, héritiers aussi bien des yuppies des années 1980 que des hippies des années 1970 qui rejettent le style de vie traditionnel de leurs bourgeois de parents, est à l’origine d’un boule­versement démographique, immobilier et politique particulièrement sensible à Montreuil.
Bouleversement démographique d’abord, puisqu’à une population relativement stable d’environ 90 000 habitants se sont ajoutés, selon les chiffres du dernier recensement à Montreuil, près de 10 000 nouveaux venus. Bouleversement immobilier aussi, car les prix du mètre carré habitable dans cette ville limitrophe de Paris, y compris pour les ouvriers et les précaires, se sont envolés en quelques années, avec, pour 2007 seulement, une hausse de 14,3 %. Et le changement est aussi politique : l’électorat, traditionnellement accaparé par le Parti communiste français, commence à prendre des teintes roses et vertes et aiguise les appétits des socialistes et des écologistes. Le maire de Montreuil, Jean-Pierre Brard, communiste dissident mais soutenu par le PCF, a dû cette fois négocier dur avec les autres formations de gauche afin de rester tête de liste pour les prochaines municipales. Et il n’y est d’ailleurs parvenu qu’à moitié. Le Parti socialiste, qui pendant des semaines a envisagé de laisser sur le ­carreau tout ce qui tendait vers le rouge, a finalement ravalé ses ambitions et décidé de lui apporter son soutien. Mais, à l’inverse, la chef de file des Verts, la sénatrice et ex-ministre Dominique Voynet, a choisi de franchir le Rubicon : elle présente sa propre liste au premier tour des municipales à Montreuil, lançant ainsi un défi à l’hégémonie communiste. [Mme Voynet a obtenu 32,5 % des voix et M. Brard 39,4 %.] Et le cas n’est pas isolé : des primaires opposeront pour la première fois des formations de gauche au premier tour dans cinq autres communes de la ceinture rouge : Aubervilliers, La Courneuve, Bagnolet, Pierrefitte-sur-Seine et Vitry-sur-Seine, villes limitrophes séparées de Paris par la muraille et véritable frontière psychologique qu’est le périphérique*. Dès la fin des années 1990, les bobos ont colonisé ce qu’il restait de quartiers populaires à Paris intra-muros – une capitale qui, avec seulement 87 km², se révèle peu étendue comparée, par exemple, aux 607 km² de Madrid.

Les apparences sont sauves, et les pauvres sont partis

Professeur à l’université de Nanterre, Jacques Donzelot voit dans le phénomène des bobos banlieusards la naissance d’une troisième fracture urbaine, dans une France déjà ébranlée par un choc entre, d’une part, les villes et les banlieues bourgeoises et, d’autre part, les cités-dortoirs très défavorisées. A Paris, analyse ce sociologue de l’urbain, la domination des bobos a aggravé les deux “cauchemars sociaux des classes moyennes : la menace qu’ils croient subir de la part des habitants des cités et le rejet qu’ils croient subir de la part des habitants des quartiers aisés”. Le sentiment pour elles d’être prises en tenailles pourrait expliquer ce vote de la peur qui, en 2002, avait donné des ailes à l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen et qui, en 2007, a ouvert la présidence à Nicolas Sarkozy. Et voilà aujourd’hui qu’apparaît, selon Jacques Donzelot, une troisième fracture : “La construction d’un espace urbain sélectif, où une population aisée de manipulateurs de symboles (yuppies, bobos et intellectuels riches), avides de quartiers populaires, fera en sorte de maintenir les apparences populaires mais obligera la population pauvre à partir, chassée par la flambée des prix de l’immobilier.”

* En français dans le texte.

Andrés Pérez
Público

Courrier International

No comments: