Thursday, June 18, 2009

*Sarkozy: histoire d'une révolution culturelle...*

***Nicolas Sarkozy est passé des Bronzés à Visconti: depuis plusieurs mois, le président surprend ses amis par ses nouveaux goûts artistiques. Et par ses rencontres.

Le dimanche 7 juin au soir, une fois connus les résultats des élections européennes, il a regardé le DVD de Mort à Venise, le chef-d'oeuvre de Luchino Visconti inspiré d'une nouvelle de Thomas Mann. Le mardi 9, dans l'avion qui le ramène d'un déplacement en Savoie, il a posé un livre de Zola sur sa table.

Le lendemain, devant les sénateurs UMP réunis à huis clos à l'Elysée, il cite Céline quand il évoque son projet de Grand Paris : "New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes..." Le soir, il découvre le film de Jean-Luc Godard Pierrot le Fou. Le lendemain, ce sera A bout de souffle.

Une nouvelle vague, monsieur le Président? Non, un tsunami : Nicolas Sarkozy fait sa révolution culturelle. Il y a cent ans, il y a neuf ans, il se caricaturait lui-même en répondant à un questionnaire sur France Inter : "Stallone, moi, je suis un inconditionnel. Quand il fait ce match de boxe pour son fils, je suis limite les larmes aux yeux." Et il enchaînait sur Les Bronzés et Le Père Noël est une ordure.

De ses coups de coeur musicaux il n'a longtemps dévoilé que ses penchants pour Didier Barbelivien - il lui a remis la Légion d'honneur le 4 juin - Michel Sardou, Johnny Hallyday, Calogero ou Chimène Badi. De ses goûts littéraires, Céline, Mérimée, Albert Cohen et Françoise Sagan. Dans L'Aube le soir ou la nuit, Yasmina Reza le cite, pendant la campagne présidentielle, à propos de Marc Levy: "Moi, je regrette, un type qui vend à des millions d'exemplaires, ça m'intéresse."

Apparemment, il n'avait jamais vu un film de Fellini

Depuis quelques mois, le chef de l'Etat ouvre de nouvelles portes. A la fin du mois de mai - il le racontera ensuite à des parlementaires - il a dîné, à l'Elysée, avec Michel Houellebecq, dont il avait lu auparavant Les Particules élémentaires et des poèmes. L'écrivain a dû apprécier, puisqu'il laisse, le lendemain, un message de remerciements : "Mardi dernier, j'avais rencontré Iggy Pop. Puis ce fut le président. Ce sont deux êtres très calmes, le contraire de ce qu'ils sont sur scène. J'en conclus que les rock stars et les politiques ont un point commun." De son côté, l'hôte des lieux a confié avoir beaucoup ri.

De temps à autre, Carla Bruni-Sarkozy organise ainsi des repas, avec le cinéaste David Lynch - dont le chef de l'Etat a aimé le déjanté Sailor et Lula, mais aussi l'audacieux Mulholland Drive - avec le réalisateur et acteur Dennis Hopper ou encore avec Marianne Faithfull. Dans Paris Match, le 11 juin, la chanteuse de rock britannique raconte : "Apparemment, il n'avait jamais vu un film de Fellini. Je peux facilement l'imaginer apprécier Johnny Hallyday, mais il a changé grâce à elle. Avec moi, il a été très poli et charmant."

Bientôt devraient être invités Woody Allen, John Malkovich (l'idée est venue au président après qu'il a vu l'adaptation cinématographique des Liaisons dangereuses par Stephen Frears) ou Laurent Voulzy, croisé lors de l'enregistrement de l'émission Taratata consacrée à Carla Bruni.

Longtemps, il a fait voyager les livres. Maintenant il les ouvre

La patte de la première dame se devine aussi à travers certaines sorties musicales. A la fin de 2008, Nicolas Sarkozy est allé écouter Leonard Cohen, dont il avait voulu lire les paroles des chansons en français avant le récital, pour être sûr de les comprendre; il a salué l'Américain à l'entracte de son spectacle à l'Olympia. Un autre soir, Bob Dylan, apprenant la présence du président pendant son concert au palais des congrès, demande à s'entretenir avec lui et lui offre une ceinture texane.
Parmi les hôtes du président, Marianne Faithfull amie de Carla Bruni.

Parmi les hôtes du président, Marianne Faithfull amie de Carla Bruni.

Sans prévenir grand monde, le président se rend régulièrement à des expositions. Il a vu plusieurs fois Picasso et les maîtres, au Grand Palais, à deux pas de l'Elysée. Lors de son voyage à New York, à l'automne 2008, il enchaîne une visite de l'atelier de Louise Bourgeois, un saut au Metropolitan Museum of Art (le fameux MET) et un autre à la Frick Collection. Parmi ses peintres préférés figurent Basquiat ou Schiele.

Ses amis de longue date observent la mue inattendue du président. "C'est un autre homme, dit l'un d'eux. A force de voyager à cause de sa fonction, il est devenu un sédentaire, qui aime être chez lui et bouquiner dans son canapé." Au cap Nègre, Nicolas Sarkozy est fier de montrer la chaise longue où il lit au soleil. Le 15 octobre 2008, il surprend ses homologues étrangers en arrivant au Conseil européen avec, sous le bras, des dossiers mais aussi Une histoire de France, d'Alain Minc, et deux romans de Jean-Marie Le Clézio, L'Africain et Désert.

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Dans l'avion, il laisse parfois traîner ses livres. "Pendant longtemps, il les a fait voyager avec lui, prendre l'air, voir du pays, note un ministre. Maintenant, il les ouvre !" Et comme, selon une confidence rapportée par Frédéric Gerschel et Renaud Saint-Cricq dans Canal Sarkozy (Flammarion), il a "une qualité que beaucoup de gens ignorent: [je suis] hypermnésique, quelqu'un doté d'une mémoire exceptionnelle", il se montre ensuite intarissable.

En 2008, sur Alexandre Dumas ou Françoise Sagan; au cours du premier semestre 2009, Maupassant, Stefan Zweig, Borges, Montherlant, Stendhal et Zola l'inspirent. Il peut clouer ses interlocuteurs en leur racontant La Petite Roque ou Le Joueur d'échecs dans les moindres détails. Il s'emmêle parfois les pinceaux, comme pendant cette discussion avec des élus, où il parle des Roujon-Macquart (sic), sans que personne n'ose le reprendre, selon une information rapportée par Le Parisien du 27 mai.

Un jour, il sort de sa sacoche un exemplaire des Mots, de Jean-Paul Sartre, avec une succession de passages soulignés au Stabilo. "Le progrès, ce long chemin ardu qui mène jusqu'à moi..." Il lit la phrase à quelques journalistes et commente: "Quelqu'un qui est capable d'écrire ça... C'est formidable, non?" Ces dernières semaines, il s'est enthousiasmé pour la nouvelle collection de Jean d'Ormesson proposée par Le Figaro, la Bibliothèque, qui revisite tous les classiques de la littérature française.

Car Nicolas Sarkozy a une manière bien à lui d'aborder une oeuvre : dans son intégralité... "Il a lu tout Maupassant et m'a ensuite fait la leçon", témoigne un ami originaire, comme l'auteur de Boule de suif, de Normandie. De Capra, de Lubitsch, de Woody Allen, de Claude Sautet, le président a vu l'intégrale ou presque. De Stanley Kubrick, aussi - sauf Orange mécanique. De Charlie Chaplin, il ne s'est pas contenté des classiques, regardant jusqu'à ses premiers films : "C'est le seul grand qui soit passé du muet au parlant, tous les autres ont disparu !" a-t-il relevé devant un visiteur.

Il a aussi découvert All about Eve, de Mankiewicz, Un tramway nommé Désir, d'Elia Kazan, ou La Chatte sur un toit brûlant, de Richard Brooks. "Pendant que les uns et les autres voyaient les films du ciné-club, lui faisait de la politique !" remarque un proche, quinquagénaire comme lui. Ses cours de rattrapage accéléré donnent des résultats : le 5 février 2009, l'émission de télévision consacrée à la crise n'a pas commencé depuis cinq minutes que le chef de l'Etat évoque "le film culte de Capra, La vie est belle".

Les absences des temps passés justifient les lacunes, les rencontres d'aujourd'hui expliquent les influences. C'est une sorte d'éducation sentimentale : grâce à son épouse, le président s'initie à un monde plus branché, plus intello, plus à gauche. "L'autre jour, Florian Zeller m'invite à dîner un petit bout, avec Carla Bruni. Je ne pensais pas qu'il y aurait son compagnon. Je la vois au bout du couloir, je suis en train de manger une brochette avec une amie, Carla vient me voir, comme dans une surboum, très fière et très simple, elle me dit : "Tiens je te présente...", euh je ne sais plus comment elle a dit, mais c'était Sarkozy", rapportera le chanteur Christophe, en juillet 2008, dans le mensuel Technikart.

Des goûts désormais éclectiques : (de haut en bas) la peinture de Basquiat, Les Liaisons dangereuses, de Stephen Frears, le chanteur Louis Bertignac, Woody Allen...

Cet hiver, devant l'état-major de l'UMP réuni un lundi matin à l'Elysée, le chef de l'Etat indique avoir beaucoup aimé Je t'ai épousé par allégresse, la pièce interprétée par sa belle-soeur, Valeria Bruni-Tedeschi, au théâtre de la Madeleine, à Paris. Il a des échanges fréquents - et vifs ! - avec le compagnon de cette belle-soeur, l'acteur Louis Garrel, qui avait procédé à des lectures publiques de La Princesse de Clèves après la controverse autour des propos présidentiels sur l'actualité de Mme de La Fayette. Le 31 décembre 2008, le chef de l'Etat fête la Saint-Sylvestre avec, à sa table, l'ex-musicien du groupe Téléphone Louis Bertignac et la comédienne Marine Delterm. En avril, il assiste, à l'Olympia, à Paris, au concert de Julien Doré, ancien vainqueur de La Nouvelle Star. Le président, qui aime tant fustiger la pensée unique, finira-t-il en bobo Sarko, le candidat de Saint-Germain-des-Prés pour 2012 ?
Sarkozy: histoire d'une révolution culturelle

Au cours d'un Conseil des ministres du printemps, il a expliqué : "On ne gagne pas avec les intellectuels, mais on ne gagne pas si on les a contre soi." Un lien avec les artistes s'est créé : le 10 juin, après la censure par le Conseil constitutionnel de la loi Hadopi, il se demande s'il doit de nouveau les rencontrer, comme il l'avait fait le 22 avril. En mai, il déjeune avec des directeurs de théâtre, qui se revoient ensuite pour lui adresser une lettre collective. Ils avaient apprécié qu'aucun communiqué n'ait divulgué l'existence même de leurs agapes élyséennes.
Sarkozy: histoire d'une révolution culturelle

A la frontière entre responsable public et homme privé, le Sarkozy d'aujourd'hui n'a plus qu'un lointain rapport avec celui d'hier. Certains se pincent pour croire ce qu'ils voient. Et voilà que l'ancien ministre de l'Intérieur se surprend en train de craquer pour un expert en analyse de traces de sang dans la police, le jour, qui se transforme en tueur en série la nuit. Le président a commencé à regarder Dexter... et n'a pu s'empêcher de voir tous les épisodes de la première saison.

Eric Mandonnet, Ludovic Vigogne
L'Express
18/06/2009

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